ON NE BADINE PAS AVEC L'AMOUR

Alfred de Musset

Date de lecture: 23/09/1999

Fiche de lecture: Fontaine Didier

PERSONNAGES

LE BARON

PERDICAN, son fils

MAITRE BLAZIUS, gouverneur de Perdican

MAITRE BRIDAINE, curé

CAMILLE, nièce du baron

DAME PLUCHE, sa gouvernante

ROSETTE, soeur de lait de Camille

Paysans, valets, etc.

I. Introduction et notes personnelles

Cette pièce de théâtre ressemble bien au Musset que je me représentais après une lecture précise et fouillée de Lorenzaccio. Ah bon, direz-vous, et quel rapport? Au point de vue de ses motivations, de ses sources d'inspiration, de son amertume et de son expérience de la vie, Musset me semble avoir le mieux protesté contre la réalité dans son monde imaginaire. Avec pour titre d'une pièce un: On ne badine pas avec l'amour, très impersonnel, et donc universel, suivi de cette mention: Proverbe, on ne peut que constater la force et le tour que prennent alors les conseils donnés au travers d'une simple histoire de fiction. Simple, mais si réelle et vraisemblable! Et c'est parce qu'elle fait intervenir des personnages courants (de son époque, je m'entends) qu'elle touche.

Au fil de la lecture, je me suis demandé si Perdican n'avait pas un peu de la personnalité de Musset lui-même. Et qu'est-ce qui me fait dire? Je ne sais pas, l'intuition. Parfois, Perdican argumente comme le ferait Musset, à moins que ce ne soit un trompe-l'oeil - mais cela m'étonnerait. Exemple: «O mon Dieu, le bonheur est une perle si rare de cet océan d'ici-bas!»(III, 6), ou «Je voudrais bien savoir si je suis amoureux» (III, 1), ou bien, ce qui m'a le plus marqué: «Ô mon enfant! Sais-tu les rêves de ces femmes, qui te disent de ne pas rêver?»(II, 5).

Je déteste avoir à interpréter une oeuvre en dehors des informations fournies par l'oeuvre elle-même, je pense que les ouvrages d'un auteur devraient avoir un sens indépendamment de leur auteur (sinon, étudions tout bonnement les biographies de tout un chacun!), mais ce procédé semble parfois incontournable, ou s'avère riche en suppléments. Et là je me nuance: oui pour les suppléments, non pour l'essentiel. Eh bien, dans le cas de Musset, indéniablement on comprendra mieux l'esprit de ses pièces si l'on sait les «tragédies» qu'il a vécues, quels ont été les remous de sa vie de dandy.

Et au juste, quel message Musset veut-il faire passer, dans cette courte pièce? Un message n'est jamais unilatéral, je crois. Il n'est pas simple, ou alors, s'il l'est, il est de peu de valeur. Ici, Musset va en croisade contre la légerté que l'on peut manifester à l'égard de l'amour, légerté qui peut être fatale. Et il s'illustre. Partant d'un proverbe populaire, comme c'était la coutume à son époque, il décrit un cas, parmi d'autres possibles. C'est un point. Un autre est de montrer comment l'on peut arriver à ce genre de situation (peut-être pour pouvoir l'éviter): tout naît d'un conflit d'intérêt. Le baron veut épouser sa nièce et son fils. Le fils ne dirait pas non, mais a de l'orgeuil, et la nièce, ayant de l'orgeuil, ne dit pas oui. Difficile à cerner, cette nièce, d'ailleurs! Plus que Perdican, oh oui! C'est peut-être l'attitude de Perdican sur laquelle Musset s'étend le plus (la connaissant peut-être mieux aussi), mais, ce faisant, et détaillant les causes, il parvient, sous certains points, à la légitimer. Après tout, toutes les femmes que Perdican a eues pour maîtresses l'ont abandonné. Lui les avais aimées, il ne les aurait pas abandonné... En revanche, face à l'attitude de Camille, Perdican perd ses repères. Il ne comprend pas, Musset non plus d'ailleurs. Ce que j'ai beaucoup aimé, toutefois, c'est que Musset donne quand même un bénifice du doute, quand il prête ces paroles à Camille:

«Connaissez-vous le coeur des femmes, Perdican? Êtes-vous sûr de leur inconstance, et savez-vous si elles changent réellement de pensée en changeant de langage?» (III,5)

Mais, et ce n'est qu'un avis personnel, si Musset fait semblant de comprendre les femmes, il ne les excuse pas pour autant. D'où l'attitude ambiguë de Camille. Oui, une attitude ambiguë!

En quoi? Ma foi, on comprend le raisonnement de Perdican, son désir de vengeance. Mais on ne comprend pas ce qui se passe dans la tête de Camille: si elle est jalouse, si elle veut vraiment partir, si elle attend une cour à laquelle elle ne saura résister, pourquoi elle fait rappeler Perdican lorsque celui-ci est en train de préparer son mariage factice avec Rosette, pourquoi elle l'embrasse, et pourquoi, en définitive, de manière aussi abrupte, elle dit: «Adieu, Perdican» alors qu'elle savait pertinemment qu'à force de rester avec Perdican, et de succomber insensiblement à son charme, elle aussi finirait par faire du tort à Rosette. Car Perdican, même à son détriment, aurait épousé Rosette. Et c'est bien Camille qui est intervenue.

Le coupable? Pourquoi un coupable!? On ne badine pas avec l'amour, c'est tout. Le baron n'aurait pas dû vouloir arranger un mariage (forcer un mariage), et les protagonistes n'auraient pas dû entrer dans ce jeu, qui n'en est pas un.

II. Synthèse du fil dramatique

Un baron, ayant déboursé beaucoup d'argent pour l'éducation de son fils et de sa nièce, conçoit l'idée de les unir dans le mariage, afin d'optimiser ses dépenses, surtout qu'il trouve que les deux individus en question vont bien ensemble: Perdican son fils est un docteur très cultivé, tout fraichement sorti des bancs de l'école, et Camille, sa nièce de dix-huit ans, est une nonne, venue récupérer les biens de sa mère, pour retourner ensuite dans son couvent.

La rencontre de Perdican et de Camille, qui étaient autrefois des amis d'enfance, ne donne pas le résultat escompté: un baiser de cousine à cousin refusé, des propros froids, rien que du mauvais. Perdican semble tomber sous le charme de la nonne, tandis que celle-ci se considère mariée à Dieu.

Ensuite, c'est très simple: Camille et Perdican confrontent leurs points de vue de la vie, des moeurs et de l'amour. Camille, neuve, pose des questions. Perdican, doué d'une certaine expérience, y répond à sa manière. C'est le début d'une idylle. Mais Camille se la cache à elle-même.

Finalement, interceptant une lettre de Camille à sa soeur du couvent, dans laquelle Camille déplore Perdican, et le chagrin d'amour qu'elle va lui causer, Perdican est piqué dans son orgeuil et entreprend une vengeance: montrer à Camille qu'il aime une modeste paysanne, Rosette.

Le stratagème fonctionne: Camille rappelle Perdican, lui avoue son amour. Ils réalisent qu'ils sont faits l'un pour l'autre, et c'est à ce moment qu'un cri retentit: Rosette vient de succomber aux propos qu'elle a surpris.

Camille, reflouant sa flamme, dit simplement: «Adieu, Perdican.»