L’ETRANGER

 

Camus

 

Date de lecture : été 1998

Fiche de lecture : Fontaine Didier

C’est un roman qui annonce le talent de Camus (c’est son premier). Le personnage, simple d’esprit, me fait penser à autant de Candide, Ingénu… ou Forrest Gump.

Du moins ! Simple d’esprit ! C’est tout à fait voulu, et si savoureux ! L’histoire ? Oh, elle est simple : un certain Meurault apprend le décès de sa mère. A l’enterrement, il manifeste une insensibilité à peine croyable (« C’est dans l’ordre des choses »). Aucune tristesse. Rien. Ses besoins physiques, comme il l’avoue lui-même, priment sur ses sentiments : son attention est très vite détournée. Par exemple, il ne peut pas être triste à l’enterrement de sa mère parce qu’il a faim et parce qu’il est fatigué. Ces décalages sont sublimes. Pour le reste, aussitôt après le décès de sa mère, survient une série d’événements qui le conduiront en prison : tout d’abord il rencontre Maris, vite entichée de lui, ensuite il fait la connaissance avec un proxénète, Raymond, puis il part pour une journée chez un ami de Raymond, Masson. Or, du fait de certaines circonstances malheureuses, Meurault se trouve mêlé à une affaire de mœurs concernant Raymond et une femme. Le frère de cette dernière, ainsi qu’une bande d’Arabes, commencent justement à rôder autour d’eux durant la fameuse journée avec Masson. Tout se conclut lorsque avec Meurault, Raymond précipite l’affrontement en provoquant les Arabes. Il est aussitôt blessé. Le même jour, Meurault retourne seul sur la plage où a eu lieu l’incident. Il est armé.

Bientôt il rencontre l’Arabe qui a agressé Raymond. Celui-ci sort son couteau en commençant, je crois, à reculer pour s’enfuir. Mais – on ne sait trop pourquoi : le Soleil ? l’étourdissement ? la niaiserie ? – Meurault dégaine et tire – cinq fois en tout, avec un intervalle entre le premier tire et les quatre suivants. Il est arrêté et c’est là que commence pour lui un procès où on rapproche bientôt son acte criminel à l’insensibilité monstrueuse dont il a fait preuve à l’enterrement de sa mère. Finalement, tout est savamment orchestré pour l’accuser de meurtre avec préméditation. On demande sa tête. C’est sur l’attente de sa mort que s’achève le roman (ou récit ? ou essai ?) de Camus.

Comme dans la Chute, on retrouve le thème de la culpabilité de l’homme. On trouve aussi ce mépris de Dieu relatif à la philosophie de l’absurde qui s’ébauche ou qui est déjà en vue. Par certains côtés, Meurault ressemble à Clamence. Mais par d’autres, il en diffère radicalement : c’est surtout que Meurault est, bien que criminel, plutôt innocent. C’est une « créature tout d’une pièce », « sans arrière pensée ». Clamence au contraire est double, il est un Janus. Il veut dominer, juger pour s’affranchir d’une culpabilité qu’il ne supporte plus. L’Etranger est un ouvrage bien sombre, mais je ne peux nier que la lecture m’a enjoué : voir la société sous des lunettes simplettes, c’est terrible, c’est grave, c’est démoralisant parce que c’est réaliste, mais qu’est-ce que ça peut être drôle ! A chaque instant, un décalage entre une situation grave et la réaction du héros fait « rire », puis « réfléchir ». Le tout est intéressant. De cet ouvrage, pour conclure, je retiendrai la citation suivante, très significative :

« N’avez-vous donc aucun espoir et vivez-vous avec la pensée que vous allez mourir tout entier ? – Oui. »