6. Une période trouble
35-135 ap.J.-C
Résumé
Quel fut le contexte historique dans lequel progressa le christianisme ? Autrement dit, dans quelles circonstances furent réalisées les premières copies du Nouveau Testament, avec ou sans le nom divin ?
Le chapitre 6 met en lumière plusieurs évènements historiques : la rupture du christianisme d'avec le judaïsme, les premières persécutions contre les chrétiens, le passage du message apostolique à la Gentilité et enfin l'avènement de l'apostasie et de l'hérésie..
Dès les évangiles, on perçoit une nette hostilité des chrétiens envers “les Juifs”, c'est-à-dire envers les chefs religieux du judaïsme pharisien, qui sont accusés d'avoir provoqué la mort de Jésus, et d'être les meurtriers des prophètes (Matthieu 27:24,25, Marc 7:1-13, 12:38-40, Luc 11:37-54, Jean 19:14,15, Actes 2:22,23, 1 Thessaloniciens 2:14-16). Cependant, on ne saurait qualifier les invectives chrétiennes d'antijudaïsme dans la mesure où, à l'époque, les chrétiens étaient eux-mêmes des Juifs . Il faut plutôt comprendre que le christianisme, d'abord secte ou dissidence du judaïsme, a fait ses premières armes polémiques dans sa propre matrice. Pour les chrétiens, les chefs religieux étaient d'autant plus condamnables qu'ils empêchaient au peuple d'être sauvé (cf. Matthieu 23:13).
Rejetés par les Juifs, les chrétiens vont donc s'adresser aux Gentils (comparer Matthieu 10:5,6 et Matthieu 28:29), d'abord avec prudence, puis plus pleinement (Actes 10-11, 13:46, 18:6). Mais aussitôt dissociés des Juifs dont ils bénéficiaient de la prérogative de religion autorisée (religio licita), les chrétiens sont persécutés, et beaucoup de ceux qui avaient fréquenté les apôtres ou les diciples immédiats du Christ, qui donc connaissaient, employaient le Nom, et étaient susceptibles de l'écrire en hébreu, périssent dans les arènes et les cirques.
C'est alors qu'éclate la révolte juive contre Rome, qui se solde en 70 par la chute et la destruction de Jérusalem. La communauté chrétienne qui y subsistait est dissoute, en grande partie si ce n'est totalement. Quelques temps plus tard, vers 80-90, une “bénédiction” est ajoutée à la prière des Dix-Huit Bénédictions (Shemoneh Esrei) : la bénédiction des hérétiques (birkat ha-Minim), qui, en fait, est une malédiction destinée aux Nazoréens, c'est-à-dire les chrétiens. Vers la même époque, ou peu après, les rabbins se préoccupent de savoir s'ils doivent laisser brûler ou non les écrits des hérétiques (les sifrei ha-Minim) en cas d'incendie, car ils contiennent le tétragramme (Talmud de Babylone, Shabbat 116a). Ainsi, on possède bel et bien des témoignages de la rupture entre judaïsme et christianisme, et ces témoignages indiquent de surcroît que les judéo-chrétiens (les minim, les hérétiques, pour les Juifs qui ne reconnaissaient pas Jésus) avaient des écrits portant mention du Nom.
En 135, une seconde révolte juive éclate, menée par Bar Kokhba. Elle se solde également par la chute et la destruction, cette fois-ci complète, de Jérusalem. Durant celle-ci, les chrétiens font les frais de leur neutralité, et sont persécutés par les Juifs insurgés. Ce dernier soubressaut sonne le glas du judéo-christianisme garant, ou dépositaire, du glorieux nom divin. Dès lors, le christianisme ne sera plus transmis que par des personnes n'ayant pas connu le Christ, et surtout n'étant plus du tout de la même patrie.
Les Pères apostoliques tels que Clément de Rome, Ignace d'Antioche, Papias d'Hiérapolis, ou les rédacteurs de La Didachè et de l'Epître de Barnabé, attestent encore d'une certaine filiation, ou affection, pour la religion juive, avec une compréhension assez claire de l'identité de Jésus et de Dieu. Mais des apostasies (Marcion...) et hérésies (gnosticisme, simonisme, ménandrisme, docétisme...) surgissent et sèment la zizanie. En particulier, Marcion (mais il n'est pas le seul) purge le Nouveau Testament de toutes ses composantes juives. C'est le début de l'antijudaïsme, qui ne fera que progresser, et qui explique fort bien la disparition du nom divin, YHWH, dieu barbare, démiurge anthropomorphe et violent des Juifs, au profit du Seigneur Tout-Puissant, inommable et transcendant.
Principaux ouvrages cités
• Beaude, Premiers chrétiens, premiers martyrs
• Mimouni, Les chrétiens d’origine juive dans l’Antiquité
• de La Rochebrochard, Juifs et chrétiens au temps de la rupture
• (collectif), Les premiers temps de l'Église
• Daniélou, L’Église des premiers temps
• Daniélou, Théologie du judéo-christianisme ancien
• Daniel-Rops, L’Église des apôtres et des martyrs
• Baslez, Bible et Histoire
• Achard, Néron
• Hirsch Graëtz, Histoire des Juifs
• Daniel Marguerat (éd.), Le déchirement - Juifs et chrétiens au premier siècle
• Quéré, Les Pères apostoliques - Ecrits de la primitive Eglise
• Lazare, L'Antisémitisme : son histoire et ses causes
• Schiffman, Who Was a Jew ? Rabbinic and Halakhic Perspectives on the Jewish-Christian Schism
• Herford, Christianity in Talmud and Midrash (ou PDF)
Sources
• Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique
• Suétone, Vie des douze Césars
• Tacite, Annales
• Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs et Contre Apion
• Tertullien, Apologétique
• Justin Martyr, Dialogue avec Tryphon
• Philon, De Vita Mosis
• Irénée de Lyon, Contre les hérésies
Articles
• Daniel Marguerat, « Le Nouveau Testament est-il anti-juif ? - L’exemple de Matthieu et du livre des Actes », RTL 26, 1995
• Christian B. Amphoux, « 1 Th 2,14-16: Quels Juifs sont-ils mis en cause par Paul ? », Filología Neotestamentaria 16, 2003
• K.L. Caroll, « The Fourth Gospel and the Exclusion of Christian from the Synagogues », in : Bulletin of John Rylands Library (1957-1958): 19-32
• S.C. Mimouni, « ‘La Birkat ha-minim’ : Une prière juive contre les judéo-chrétiens », Revue des sciences religieuses, 1997, vol. 71/3 : 275-298
Pour aller plus loin...
• Dan Jaffé, Le Talmud et les origines juives du christianisme : Jésus, Paul et les judéo-chrétiens dans la littérature talmudique
• Mimouni, Le judéo-christianisme ancien
• Lanfranchi, La polémique anti-chrétienne dans la littérature rabbinique à l'époque des tannaïm
• R. Cavenaile, Juifs et Romains - Les deux guerres juives (66-73 ou 74 zr 132-135 ap.J.-C.)
• Dauphin, « De l’église de la circoncision à l’église de la gentilité : sur une nouvelle voie hors de l’impasse », Liber annuus - Studium biblicum franciscanum, 1993, vol. 43 : 223-242
• Frédéric Manns, John and Jamnia : How the Break Occured Between Jews and Christians C.80-100 AD, Jérusalem, 1998 : 15-30
• Jewish Encyclopaedia, art. gilyônim - art. min(im) - art. Birkat ha-Minim
• Luc Fritz, Judéo-chrétiens et judéo-christianisme
• Claudine Cavalier, Le judéo-christianisme dans l'Antiquité & La Septante
• Willis Barnstone (éd.), The Other Bible - Ancient Alternative Scriptures
• Daniel Marguerat, La Première Histoire du christianisme : les Actes des apôtres
• Perowne, Les Césars et les saints
• Bowersock, Rome et le martyre
• Baslez, Les persécutions dans l'Antiquité : victimes, héros, martyres
• Hadas-Lebel, Philon d'Alexandrie
• John T. Townsend, « The Gospel of John and the Jews: The Story of a Religious Divorce », in : Alan T. Davies, ed., Antisemitism and the Foundations of Christianity (Paulist Press, 1979): 72-97
• The relations of Jews and Christians, in: Renan, History of the Origins of Christianity, Book V, The Gospels
• Renan, Histoire des origines du christianisme
• Trocmé, L'enfance du christianisme
Copyright © 2007, Didier Fontaine - Le nom divin dans le Nouveau Testament