HÉBREU BIBLIQUE

2. Les voyelles

Didier Fontaine

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Références: Gesenius §7 The Vowels in General, Vowel Letters and Vowel Signs, §8 The Vowel Signs in particular §9 Character of the several Vowels. § 10. The Half Vowels and the Syllable Divider (Shewa). Voir aussi F. Boulanger : Cours de grammaire d'hébreu biblique - Les voyelles et leur secret

A lire : A Dissertation concerning the Antiquity of the Hebrew Language, Letters, Vowels Points and Accents par John Gill (D.D.)

2.1. Un système consonantique. À l'origine, l'hébreu ancien ne posséde pas de voyelles. Le lecteur doit les restaurer durant la lecture, sur la base de sa connaissance de la langue et en fonction du contexte. Ceci toutefois suscite des ambiguïtés, car un mot peut avoir différentes significations selon sa vocalisation. Exemple : ~v peut se vocaliser ~v' (ici) ou ~ve (nom).

Après le règne du Roi David, un système vocalique basé sur trois consonnes à double valeur se mit en place : les consonnes y, h, w furent désignées:

Lettre
Valeurs
y
I, É, È
h
O, A en fin de mot
w
OU, O

+ Joüon §7b, Gesenius §8h

On les appelle mères de lecture (en latin, matres lectionis). Ce système facilitait grandement la compréhension des textes.

Il avait pourtant des limites : on n'était pas toujours sûr si telle lettre servait de voyelle ou restait une vraie consonne (Historique : 123).

+ détails sur l'histoire de ce système Gesenius § 2. Sketch of the History of the Hebrew Language. Voir aussi : Macchi : L1, voyelles, et sur les mères de lecture : Macchi ; L1, mater lectionis

2.2. Qéré/Kétiv. A mesure que la langue tombait en désuétude, le texte biblique devenait de plus en plus difficile à comprendre. Le peuple s'était habitué, après son retour de l'exode babylonien, à l'araméen, et les Juifs de la diaspora ne parlaient plus guère que le grec. Les Massorètes mirent donc au point, vers les VIIIe - IXe siècles de notre ère un système vocalique sophistiqué, qui était destiné à préserver le sens des écrits sacrés. Ils collationnèrent et recensionnèrent donc les manuscrits qui leur étaient accessibles, et homogénéisèrent le texte. Ils firent en quelque sorte un texte reçu.

Les Massorètes avaient un respect extrême pour le texte. Quand celui-ci contenait des erreurs (et également pour éviter toute correction abusive), ils ne touchaient pas au texte écrit ( byitK. kétiv) mais indiquaient ce qu'il fallait lire (yreq. qéré), c'est-à-dire la correction qu'ils proposaient.

+ de détails sur le système Qéré/Kétiv : Joüon §16e , Gesenius §17: Of the Qere and Kethibh. Masora marginalis and finalis ; sur la ponctuation massorétique : The Masoretes and the Punctuation of Biblical Hebrew ;

2.3.Le nom divin. Le texte massorétique tel qu'il nous est parvenu vocalise le nom divin ainsi : hw'hy.. On constate deux voyelles : le E (sheva) et le A (patach). C'est exactement ainsi qu'apparaît le tétragramme dans les dernières éditions de la BHS. Beaucoup pensent qu'il est vocalisé avec les voyelles du terme hébreu pour Seigneur, Maître :yn;doa]. C'est inexact. Si le tétragramme était vocalisé avec les voyelles de yn;doa] (ie a, o, a) il aboutirait à une forme désastreuse : hw;hoy], qui est un blasphème contre Le Nom. L'influence de l'araméen sur les Massorètes explique mieux la forme hw'hy. (sauf avec les prépositions).En effet, le nom divin est écrit avec les mêmes voyelles que le terme araméen a~'v., le Nom. (Historique : 124-126).

Sous l'influence d'un signe de ponctuation appelé rebia (·), difficile à distinguer du holam (son o) le nom divin apparaît parfois (6 fois sur 100) écrit hw'hoy.. [cf notre relevé : Présence du rebia dans le nom divin dans la BHS] Ainsi, beaucoup pensent que la forme française Jéhovah provient de cette superposition des voyelles du qéré sur le kétiv (soit qu'ils pensent au termeyn;doa], soit à l'association a~'v. et rebia), alors que c'est une confusion qui explique la présence de la forme du nom vocalisée hw'hoy..

Cependant, tant à l'époque des Massorètes qu'au Ier siècle en Palestine, le substitut yn;doa] était effectivement prononcé en lieu et place du nom divin, même vocalisé hw'hy.. (cf Talmud Sota 40b 7,6). En fait, jusqu'à la chute du temple de Jérusalem en 70 de n.è. , on ne prononçait exactement le Nom divin qu'une fois par an le Jour des propriations (cf Philon, De Vita Mosis, iii, 25)

Les textes étant chantés, il fallait trouver un substitut composé de trois syllabes pour remplacer le nom divin (Jé-ho-vah, hw-h-y ). Or yn;doa] convenait bien (quoiqu'il ne fît pas bonne assonance, cf. Historique:93-94).

2.4. Selon ses lettres En fait le nom divin, d'après un témoignage ancien (Maïmonide:146-157), n'a pas besoin de voyelles pour être prononcé (ou vocalisé) : il faut le prononcer "selon ses lettres". Ceci est logique quand on rappelle que l'hébreu ancien ne possédait pas de voyelles. Les noms propres qui contiennent une partie du nom divin (théophores) aident d'ailleurs dans cette tâche : YeHoSHouHa, YeHoNaTHaN, YeHouDHa. Un terme commençant par hy est donc vocalisé "Yého-" et un terme finissant par h, prend le son "A".Si on applique cette simple constatation au nom divin, on aboutit à YeHoWHa. Le w pouvant prendre le son "OU" la vocalisation YeHoua est aussi possible.

Un autre témoignage ancien affirmait qu'ils ne contenaient que des voyelles (Josèphe : GJ V,235). Nombreux sont ceux qui ont trouvé cette affirmation absurde. Elle est pourtant crédible, car Josèphe connaissait manifestement l'hébreu, et n'ignorait pas que cette langue n'a pas de voyelles. Il faut donc la comprendre ainsi : IOUA n'est composé que de voyelles et correspond à une lecture selon les lettres du Nom divin (le YeHo étant contracté en YO ou IO car le sheva initial est très bref).

Quel que soit le procédé, 1) lecture fautive du nom avec les voyelles du terme hébreu Le Nom affublé d'un rebia ou 2) d'après ses lettres, on aboutit à la même forme Jéhovah. Il faut croire que Jéhovah a su préserver son Nom, même de ses ennemis.

2.5. Les personnes qui prétendent la forme Jéhovah tirée du terme yn'doa] n'ignorent pas que la première voyelle de ce terme n'est pas un sheva (comme dans hw'hy.) mais hataf patach (A très bref). Joüon le note et, à raison, ne l'explique pas (Joüon §16f ) D'autres tentent d'expliquer cette curiosité par une règle grammaticale qui transforme le sheva composé sous la gutturale a en sheva simple sous la consonne non gutturale y (palatale) Par ex. Weingreen:31 ; Catholic Encyclopedia : "The use of a simple shewa in the first syllable of Jehovah, instead of the compound shewa in the corresponding syllable of Adonai and Elohim, is required by the rules of Hebrew grammar governing the use of shewa." ; idem in Jewish Encyclopedia : "the composite (hataf patach) under the guttural a becomes simple (sheva) under the y "

Il est cependant très gênant de voir que cette règle est allègrement transgressée en Gn 15:2, Gn 15:8 et Ps 144:15.

En réalité le recours à cette règle est spécieux dans le cadre du système qéré/kétiv, car (en l'absence d'erreur) ce système ajoute au texte les voyelles d'un mot devant être lu qui n'a rien à voir avec ce qui est écrit, ni sémantiquement, ni grammaticalement. Il n'y a pas d'interaction phonétique entre le qéré et le kétiv, ce qui explique d'une part les très curieuses formes rencontrées en Gn 15:2, 8 et Ps 144:15, et d'autre part l'absurdité de prétendre que le hataf patach d'Adonay (le qéré) s'est mué en sheva sous YHWH (le kétiv).

2.6. Prononciation. Les voyelles se prononçent après les consonnes sous lesquelles elles se trouvent : ex B' ba, alo, lo'. Font exception les patach situés sous les gutturales [ , x, h et a (généralement en fin de mot). Ex. : [;vuAhy>, YehoSHoua" (Josué, Jésus) : dans la syllabe ouverte [; le patach se prononçe avant l'ayin. Idem dans le mot : xa', (frère) prononcé ach ou x'Wr (souffle, esprit): rouach.

2.7. Détail des voyelles :

Nom
Forme
Exemple

 1. qamats

lwodG' #m'q'

'

a'

'a

 2. patach

xT'P;

;

a;

'a

 3. hataf-patach

xT'P;-@j;x]

 ]

a]

'a

 4. tséré

hr,ce

e

ae

 5. ségol

lwogs,

,

a,

 6. hataf-ségol

lwogs,-@j;x

/

a/

 7. hiriq

qyryihi

I

ai

'i

 8.  hiriq long

lwodG' qyryih

y  i

yai

'i

 9.  holam

~l'wox

O

ao

'o

10.  holam long

lwodG' ~l'wox

A

Aa

'o

11. qoubbouts

#WBqu

u

au

'ou

12. shourouq

qruWv

W

Wa

'ou

13. qamats-hatouf

@jux]- #m'q;

'

a'

o

14. hataf-qamats

#m'q;-@j;x

\

a\

'o

15. sheva

aw'v.

.

a.

'

cf le tableau de synthèse sur les voyelles de Macchi ; + sur le sheva : Gesenius§ 10. The Half Vowels and the Syllable Divider (shewa) ; Joüon §8

2.8. Scriptio plena / Scriptio defectiva. Quand les voyelles sont accompagnés d'une consonne, elles sont nécessairement longues et ont les dit pleines (scriptio plena). Par exemple rao est une forme abrégée (défective, scriptio defectiva) de la forme rwoa qui est dite pleine. Autre ex.: lqo pour lwoq.

Dans un texte non vocalisé, cette écriture pleine facilite la lecture (en s'appuyant sur les mères de lecture). Ainsi dwd (David) est plus facilement lisible écrit dywd,

2.9. Ecriture du holam sur le shin. Le holam se confond parfois avec la marque qui distingue le shin v du sin f. Dans ce cas, il ne se note pas. (cf Gesenius §8g) Ex. : hvm, Moshè (Moïse)

2.10. Longueur des voyelles

A
O
É / È
I
OU
Long
  holam long  

y¤I hiriq long

W shourouq

Moyen

¤' qamats

¤O holam  ¤ tséré    
Court

¤; patach

¤' qamats-hatouf  ¤ségol

 ¤hiriq

¤qoubbouts

Très court

¤] hataf-patach

¤\ hataf-qamats  ¤/ chataf-ségol    

Pour vous exercer à reconnaître les voyelles, cf Lieutaud L2

Polices nécessaires PC - Mac

 


Notes:

1. Outre la vocalisation, les Massorètes affublèrent le texte d'une cantillation (ponctuation minutieuse sur laquelle nous reviendrons ultérieurement) et de notes et renvois (grande massore et petite massore).

Abréviations (les numéros de pages suivent les deux points):

Joüon : Paul joüon, Grammaire de l'hébreu biblique, éd. Institut Biblique Pontifical, Rome, 1996 (2e réimpr.)

Weingreen : J.Weingreen, Hébreu biblique, Méthode élémentaire, trad P. Hebert, Beauchesne, 1984, p.31, note 1

Historique : Gérard Gertoux, Un historique du nom divin, éd. L'Harmattan, 1999

Maïmonide : Moïse Maïmonide, Le guide des égarés (suivi du Traité des huit chapitres), éd. Verdier, 1979; Première partie, 61-64

Josèphe : La guerre des Juifs, éd. Les Belles Lettres, 1982, tome III, p.142 ; cité in : Historique : 101